Banané (Bonne Année)
Toi qui n’es pas du pays, fais un effort, étale une carte du monde, vagabonde ton regard, épiant l’immense océan de l’Inde du nord au sud, seule une concentration aiguë peut t’aider à percevoir un tout petit point ballottant sur la mer australe.
Un bout de terre insignifiant, mais combien référentiel de par sa multitude de races et de cultures. Une diversité bien prononcée engendrant une unité de pensées salutaires berçant tout un chacun à vivre en harmonie préservant l’essentiel. L’essentiel !!! Le respect, l’essentiel !!! La tolérance !!! L’essentiel, le brassage de culture et de spiritualité !!! L’essentiel !!! Le vécu en l’unité d’esprit et d’action. Voilà pourquoi La Noël prime dans l’âme des enfants de l’île. L’Eid est Mauricienne et Diwali, la fête de la lumière, qui illumine nos cœurs.
Or, de cet essentialisme unitaire se dégage un évènement annuel ou les divers milieux sociaux explosent en exprimant leur joie, leur bonheur et leur vœu le plus cher, leur optimisme en l’étape futurible. Le nouvel an, the ‘’new year’’ et pour être plus Mauricien « Banané », l’ année nouvelle qui transcende toutes les festivités culturelles et spirituelles confondues. Elle déborde et elle envahit nos cœurs. En attente, elle culmine pendant les mois précédents et nous noie en une allégresse que nous seuls pouvons ressentir.
« Banané » Cela se prépare des semaines et des semaines à l’ avance. Dès octobre, difficile de trouver peintre, maçon ou menuisier, car ils sont déjà pris. La maison doit être mise à neuf. L’incontournable couche de peinture. On refait le parquet. On remplace le vieil évier par un dernier cri. A la poubelle le téléviseur de vingt pouces. C’est un cinquante pouces qui trône au salon s’il vous plaît. Deux mois avant, on est en grandes surfaces choisissant rideaux et les nécessités de base afin que « Banané » se déhanche et pimente notre âme de bonheur absolu, nous visitant une fois l’an. Or il va de soi, que les responsables de l’alimentation culinaire de l’île dans son entièreté soient prêts au moins quatre mois précédant la fête. Dites-vous bien qu’ une pénurie de poulets engendrerait une situation bien stressante si cela arrivait à se matérialiser.
« Nou ti whisky » (notre whisky) « nou ti rum » (notre rhum) Chamarel ou pas, l’inévitable dont on ne peut se passer : « nou ti séga » (notre séga, chanson créole typique de Maurice), séga de l’année en C.D ou sur YouTube, fin prêt pour le réveillon, l’après déjeuner et dîner, l’apothéose d’une exaltation nous transbordant de joie et de bonheur. Pire, nos banques tremblent car le séisme de fin d’année est bien présent. Les guichets automatiques subissent un assaut, car la file d’attente ne cesse de s’allonger. Dieu merci, les cartes de crédit priment aux supermarchés et aux magasins urbains car les étrennes se font attendre et nous les mauriciens « nou Banané » est accueillie avec faste, une nouvelle emplette au moins, une paire de nouvelles chaussures, une nouvelle robe pour la gente féminine, une chemise et un ‘jeans’ pour Monsieur feront bien sourire le premier janvier. On se fait beau ou belle afin de plaire et surtout recevoir ses proches à bras ouverts, fin prêt, honorablement ficelé quand apparaitra « Banané », et que l’on chantera « vini Banané, amène to la zoie, to la paix, to prospérité » (Viens nouvel an, que tu viennes avec ta joie, ta paix, ta prospérité). D’ailleurs, c’est bien ce « Banané » qui nous catalyse un tout petit peu à délaisser notre divin océan et nos plages féeriques car toute l’île sourit au regard des rouges flamboyants annonçant l’espérance de l’ année nouvelle.
Et surtout ne jamais oublier le pétard chinois en rouleau car celui qui vient d’Inde est plus qu’ un pétard, c’est une bombe que vous avez à la main ! A ne pas râter les feux d’artifices ! Eh ! Pépé et Mémé, Tonton et Tantine de la vieille garde, si la nostalgie des années cinquante vous chatouille et vous ronge le cœur, sachez que maintenant on est plus à l’aise. Quoique le mot ‘réveillon’ fût étranger à votre vocabulaire, vous saviez comment vous dépasser malgré une précarité aiguë rien que pour le « Banané » du bon vieux temps.
31 décembre, le compte à rebours se fait valoir. Un jour ordinaire qui sort de l’ordinaire. On est au bureau mais pas au boulot. Car sa pensée, son âme planifie, se démène comme un beau diable à veiller, millimétrer les stratèges pour que tout soit prêt. Hé Hop ! Déjà midi, l’heure du départ. Soit on enfile sa veste ou on ramasse ses outils. En route on est, afin de boucler la boucle. Fin prêt pour « Banané » et le réveillon.
Les établissements hôteliers cinq étoiles ou moins affichent ultra complets car les réservations bien des mois avant ont été faites par les touristes étrangers et les mauriciens les plus huppés. En effet l’apothéose du réveillon est là, ou l’organisationnel et le professionnalisme rivalisent n’importe qui et n’importe où à l’échelle mondiale. Les menus suggérés par des chefs de renom, la musique contemporaine et folklorique vous provoque des fourmis dans les jambes, vous encense l’âme et l’esprit et explose au son des vibrations de l’île. Ooooh ! carillone l’année qui précède et salue la Bonne Année au seuil. D’un coup de pinceau, les cieux des lagons de l’île sont éclaboussés de tous feux. Une myriade de couleurs circulaires étincellent au firmament, pâlissant les étoiles lointaines ne serait-ce que pour une fraction de temps. Heureux, le visage rayonne de bonheur. Rien qu’un infime instant d’allégresse, on oublie son âme, son être car les vœux de bonheur auréolent tout un chacun. Les « Banané ! » ,« Bonne Année !», « Happy New Year ! » sans arrière-pensées fusionnent de toute part, exprimant le vœu de son cœur à ceux présents. Il va sans dire que les Ooooh ! sont aussi percutants en ville qu’au village, si lointain soit-il.
Si la pétarade annonciatrice se fait valoir déjà quelques minutes avant les zéro heures tant attendus, les auditifs sont collés à la radio et les visuels ont le regard bien appliqué au téléviseur, impatients d’accueillir « Banané » ! Coupe de vin mousseux ou « ti Rum » à la main le décompte tant attendu entonne 5, 4, 3, 2, 1 et tout le monde, en une seule voix proclame à tue-tête « Bonne Année » tandis que canons et pétards explosent, assourdissant le centre-ville et faubourg. Les feux d’artifices aux couleurs étoilées inondent les ténèbres de la nuit, défiant l’obscurité nocturne. L’enchaînement du bombardement sonore dégage une fumée aveuglante que nul ne peut percevoir le polluant résiduel enveloppant toute l’île. C’est cela aussi « Banané ».
L’île en fête, on se balance, le corps girouette serpente au son des ravannes. Le séga est roi. Le séga qui contrôle, décontrôle, peaufiné à l’Indienne est maintenant une musique et une culture bien à nous.
« Banané ! Vini zenfan nous danse sega » (Bonne Année ! Venez les enfants, allons danser le séga ! ) de Serge Lebrasse (Ségatier mauricien)
« Banané ». Ayé Banané » (Viens nouvel An) de Bhojpuri Boys (groupe folklorique indo Mauricien),
« Viné mamé anou danser » (Viens frère, allons danser !) (d’un groupe tamoule)
Tous ces chants folkloriques, qui durent jusqu’aux petites heures du matin. Bien souvent sonné, on s’écroule faisant honneur à « Banané ».
1er janvier, disent les fils du sol, débute par un souhait aux voisins, voisines accompagné d’un petit grog (apéro) et gajack (collation). Après trois ou quatre tournées du voisinage, on est presque à plat. Mais le déjeuner familial ne peut être esquivé, la tête dans les nuages, mais le régal est enclenché, car la table ne pavoise que du meilleur ne serait-ce qu’une fois l’an. Le bon vin ou le vin banane (vin de qualité inférieure) coule à flots. Le Whisky embouteillé localement ou le Rhum ferraille (Rhum de mauvaise qualité) bat son plein. Bacchus est roi avec ce qu’il y a de meilleur comme menu et l’appétit ne se fait pas prier.
Accompagné toujours d’un séga, si ce n’est le séga de l’année ; qui propulse Tonton, Tantine, cousins, cousines à « rouler les reins » (se déhancher) au son de ravannes et maravannes (instruments de musique typiques de l’ île).
Voilà en une anecdote, le « Banané », nouvel an mauricien que bien de familles fêtent. Une bonne majorité, s’ils arrivent à être sur pied pour le dîner, prolongent la fête, jusqu’à fort tard. Mais ce qui est certain, la réjouissance ne se termine pas ainsi. Les visites réciproques continuent de plus belles bien des jours après. Autrement une journée à la mer culmine apparemment le vœu de réussir à saluer dignement le nouvel an.
Le « Banané de l’île Maurice démontre l’optimisme des enfants du terroir, combien ils croient en leur pays. Malgré les aléas qui frappe le monde, nous souhaitons Bonne Année à nos confrères et consœurs car nous avons foi en la débrouillardise qui enflamme le cœur du petit mauricien, pour une île Maurice meilleure.
Alors trinquons à la santé de notre île bien aimée. « Banané » ! « Banané vini zenfants nous ale danse séga », « Ayé Banne Ané ! Ayé Banne Ané »
C’est l’île Maurice qui se déhanche.
« Cassé lé rein mam ! » Déhanche toi ami !
RM