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16 Marches

A Port- Louis, entre les entrepôts et les quais, sur le front de mer de la baie de Trou Fanfaron, se trouve un modeste amas de ruines; des restes de bâtiments en pierre qui, à première vue, ne retiennent pas le regard. Toujours est-il que ce site résonne dans la mémoire de centaines de milliers de Mauriciens de l’île.

En arrivant au BRIC (Centre d’interprétation de Beekrumsing Ramlallah), juxtaposant le site, je fus accueillie par une guide. Elle me proposa gentiment la possibilité de m’accompagner pour la visite du musée. “Vous pouvez aussi choisir d’y aller seule”, ajouta-t-elle. En effet, ce centre bien conçu, offre le choix de visite en solitaire, à son propre rythme; le tableau d’ explication et les bornes interactives fournissant les informations nécessaires. Je choisis néanmoins d’être accompagnée. Cela me donnerait sans doute l’opportunité de poser les questions qui me revenaient constamment à l’esprit depuis que j’avais entendu parler de cet endroit d’exception.

L’Aapravasi Ghat est un chapitre important de l’histoire de Maurice. Il est inscrit sur la prestigieuse liste des sites du patrimoine mondial de l’UNESCO. De 1834 à 1924, cet endroit fut la porte d’entrée des immigrants originaires principalement d’Inde, qui, suite à l’abolition de l’esclavage, vinrent travailler comme ouvriers dans les champs de cannes à sucre. «Aapravasi Ghat» signifie littéralement << Immigrant Atterrissant >> en Hindi. Le mot «Ghat» a cependant une signification bien plus profonde. Il désigne l’espace où la mer rejoint la terre; un espace indéfini, en  mouvement perpétuel, où un univers se termine pour laisser place à un autre. Pour ceux qui sont passés par ce passage, cela symbolise la transition de l’ancienne vie à la nouvelle.

Nous traversâmes le centre du musée et entrâmes dans une pièce où il est inscrit au mur : «La Grande Expérience». La guide m’expliqua alors que cette aventure avait commencé comme un test pilote par les Britanniques qui gouvernaient l’île à l’époque de l’abolition de l’esclavage, dans le but de recruter de la main d’œuvre d’autres pays qui travaillerait sous contrat. Maurice fut le premier pays à mener à bien ce projet, passant nos immigrants du statut d’esclaves à des travailleurs engagés sous contrat. En ce temps là, l’Inde étant également une colonie britannique, il était, de ce fait, tout naturel que 95% des immigrants vinrent de la Grande Péninsule. 5% uniquement arrivèrent d’autres parties du monde. Je fus fort surprise de voir la diversité des images qui ornait les murs dans la pièce d’à côté. J’appris que d’ autres immigrants vinrent aussi de Madagascar, de l’île des Comores, de Chine et d’ Afrique.

«Si Maurice a été le premier à réussir cette expérience d’immigration, cela signifie que d’autres pays ont dû, à leur tour, tenté l’ expérience, n’est-ce pas?» demandai-je. “Oui”, répondit la jeune femme. «D’autres colonies à travers le monde ont également opté pour ce système de travailleurs engagés sous contrat, parmi lesquelles le Trinidad, la Guyanne et même, plus près de nous, l’île de la Réunion. Ainsi, plus de 2 millions de personnes ont émigré pour travailler à travers le monde grâce à ce système. L’Ile Maurice à elle seule a accueilli un demi-million de personnes ». Je fus impressionnée. J’appris toutefois avec peine que le recrutement des travailleurs sous contrat fut accompagné de nombreuses fausses promesses. On leur avait fait miroiter un pays où l’on pourrait, selon toute vraisemblance, facilement trouver de l’or !

Il était enfin temps pour moi de me rendre sur le site lui-même. Accompagnée de la guide, je marchais sur le quai pour rapidement atteindre les fameuses ruines. Et nous fûmes face à 16 marches. A leur vue, je sentis battre mon cœur dans ma poitrine. Des images d’hommes, de femmes et d’enfants, gravissant les marches menant vers une nouvelle vie, traversèrent mon esprit. Quitter son pays, en emportant avec soi son histoire, sa langue et sa culture. Ses chansons et ses danses. Son espoir et son courage. Le regard fixé devant. Surtout ne pas se retourner !

Je gravis les marches pour arriver à ce qui fut autrefois, la zone de bain. De grands espaces où les nouveaux venus prenaient des bains en commun avant de se rendre au dépôt, où ils furent soumis à un examen médical. Chaque individu fut ensuite enregistré. Les immigrants y ont passé un certain temps avant d’être transférés sur une propriété sucrière, où ils vivraient dans ce qu’on appelait communément des «camps». Les ouvriers indiens étaient logés dans des logis faits de bambous, recouverts de paille, qui au final, n´étaient guère mieux que les logements précédemment réservés aux esclaves.

Bien que les travailleurs étaient libres, ils connurent parfois des conditions de vie difficile, comparables à celles des esclaves. Ils travaillaient 6 jours par semaine dès l’aube jusqu’au crépuscule. Ils avaient obligation de se conformer aux règles et d’exécuter des tâches ardues sous la menace de sanctions et de pénalités. Un travailleur masculin était payé cinq roupies par mois, une femme en recevait quatre alors qu’un enfant était encore moins rémunéré. Le système de la «double sanction» était pratique commune à Maurice: si vous vous absentiez un jour, l’ on vous supprimait deux jours de salaire.

Malgré toutes ces difficultés, la majorité des immigrants restèrent sur l’île après la fin officielle de leur contrat. Aujourd’hui, plus de 70% de la population mauricienne peut trouver ses racines dans l’ Aapravasi Ghat. En 1987, l’Aapravasi Ghat fut déclaré patrimoine national par le gouvernement mauricien et, en 2006, le site fut inscrit sur la liste prestigieuse des sites du patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce fut le premier site sous contrat à figurer sur cette fameuse liste.

L’immigration des travailleurs engagés sous contrat en provenance d ’Inde officiellement prit fin en 1923. Notre Ile Maurice est aujourd’hui une société multiraciale et multiculturelle où chacun y trouve sa place et se proclame fièrement Mauricien.

P.M.

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